⸻ les tâches quotidiennes sont variées et nombreuses. depuis plusieurs semaines, il est contraint d'assumer le rôle d'un garde du corps improvisé. la disparition de jeunes femmes représente sa principale préoccupation. au sein d'un édifice particulier, trois victimes étaient employées. il était destiné à veiller sur la sécurité de plusieurs jeunes femmes, dont une en particulier. ainsi nommée : chowon. chaque soir, il attendait patiemment près de la sortie de secours, qui servait également de sortie pour les demoiselles, dans l'espoir de l'accompagner jusqu'à son antre, en toute sécurité. parfois, le trajet se faisait en silence. d'autres fois, ils échangeaient quelques mots dans l'espoir de surmonter le silence. parfois, il était juste une oreille attentive, et parfois, c'était lui qui se confiait. il se tenait là, appuyé contre un mur, les bras croisés sur sa poitrine, une mélodie simple jouant dans ses oreilles. il employait d'innombrables stratagèmes pour patienter malgré son mal-être (et aussi pour se vider l'esprit). chaque soir, une bouteille d'eau lui était offerte avec grâce, par la patronne des lieux. cela s'était transformé en un rituel authentique. à son humble avis, c'était la méthode la plus efficace pour faire face aux disparitions répétées. désormais, le lieu ne subissait plus les méfaits du fauteur de troubles. jusqu'à quand ? la question obsédait son esprit alors qu'il observait les heures s'échapper inexorablement. il était deux heures du matin quand la jeune femme, précédemment évoquée dans ses pensées, s'approcha de lui. il retira précipitamment ses écouteurs, dans l'intention d'entamer la conversation. ❝ hey. rien oublié ? un arrêt en chemin à faire ? il se redressait, ayant appris à abandonner l'attitude du gentleman envers elle, car cela ne lui convenait pas. elle est indépendante et résolue. du moins, c'était ainsi qu'il l'avait catégorisée. ❝ rien à signaler, à l'intérieur ? une dernière interrogation avant de se mettre en route : s'assurer de la sécurité, tant celle des demoiselles à l'intérieur que de celle qui se tenait à ses côtés.

⸻ tous les regards étaient rivés sur l’écrin en cuir bleu marine et son contenu. une montre suisse sertie de diamants qui semblait valoir aussi chère qu’elle était laide. un accessoire criard dont la pureté des joyaux avait pour unique but de justifier toute l’affection qu’on lui portait. chowon soupira distraitement et ferma la boîte d’un geste vif. c’était un cadeau qu’on faisait à une maîtresse, pas à une épouse ou une petite-amie. un cadeau pour impressionner mais aussi pour faire taire. à force d’être couverte de présents tous plus onéreux les uns que les autres, la jeune femme avait fini par savoir lire entre les lignes et comprendre la signification cachée derrière une parure de diamants ou un sac italien. mais celui-ci aurait au moins pu faire preuve de bon goût, les beaux objets étaient plus facile à revendre. elle enfourna le paquet dans son sac à dos et le troqua contre un paquet de cigarettes ; en mis une dans sa bouche avant de quitter le vestiaire et le bar. la porte n’avait pas encore claquée dans son dos qu’elle sortait déjà un briquet de la poche arrière de son jean. c’était le meilleur moment de la journée. “salut.” chowon salua haneul après avoir recraché un premier volute de fumée. toute cette agitation autour des disparitions lui paraissait excessives mais elle avait fini par s’habituer à son escorte. c’était agréable de voir les rôles être échangés le temps du chemin jusqu’à chez elle et d’avoir quelqu’un avec qui discuter. “non c’est bon on peut y aller.” par réflexe elle jeta un coup d'œil derrière elle, comme si une réponse allait venir d’une porte close. “non rien à signaler.” on appelait pas la police pour des regards louchant sur un décolleté ou une main posée trop haut sur une cuisse. “ah. t’as une femme dans ta vie ? parce que si tu veux gagner des points pour toute une vie, j'ai le cadeau idéal.” elle se souvint de la montre dont elle ne savait que faire au fond de son sac. sa cigarette coincée entre ses dents elle sortit l’écrin et le passa au jeune homme. “on m’a offert ce truc. c’est un peu moche mais ça coûte une blinde.”

⸻ les journées se ressemblent et les nuits paraissent moins agitées. serait-ce dû à la présence des forces de l'ordre autour des bâtiments animés, la nuit ? jusqu'ici, aucun individu suspect n'a été désigné. il trouvait de la joie dans les moindres détails cités précédemment. et ce, tout en prenant plaisir à endosser le rôle du gentleman, du bon samaritain, aux côtés de la demoiselle. un chemin habituel, parfois parsemé d'embûches et de quelques arrêts en cours de route. ❝ hein ? le questionnement était inhabituel pour lui. Il fronçait les sourcils, alors que l'objet en question se retrouvait entre ses mains. c'était un joli écrin, révélant un bijou serti de brillants. ❝ c'est à la fois peu original, intriguant et abusif. ces trois émotions se croisaient et s'entrelaçaient dans son esprit, alors que l'écrin trouvait refuge dans les mains de sa propriétaire. ❝ raté, la seule femme de ma vie est déjà mariée. en guise de plaisanterie de courte durée, il continuait : ❝ et m'a mis au monde, par la même occasion. un ricanement cristallin se faisait entendre, tandis qu'il ajoutait pour clôturer : ❝ et le syndrome d'Œdipe, très peu pour moi. les bras croisés sur son buste, il observait distraitement chaque mouvement de son interlocutrice. ❝ ta sœur, ça fait toujours plaisir un cadeau. il ignorait les détails de la vie personnelle de la jeune femme, mais il avait quelques informations à son sujet. son métier, gardé secret. sa sœur, son numéro de téléphone portable, son adresse, et ces petites habitudes auxquelles elle s'adonnait sans même s'en apercevoir. ❝ dis, chowon. son nom, murmuré. ❝ c'est comment, là-bas ? il avait pris soin de visiter les lieux à maintes reprises lors d'enquêtes, de signalements et d'appels tardifs. cependant, il ne s'était jamais interrogé sur le déroulement d'une soirée typique, par exemple.

⸻ les nuits étaient toujours calmes sur la petite île mais elles le lui paraissaient encore plus lorsqu’elle sortait du bar. le silence de la campagne semblait presque irréel comparé à la fête éternelle qui se jouait derrière la façade minimaliste. c’était comme changer d’univers en empruntant une porte à la manière d’alice traversant un miroir. le jeune homme qui l’attendait chaque soir était son seul point d'ancrage avec le monde réel et leur petites entrevues rendaient son retour à la maison moins étrange. ses sœurs lui paraissaient moins étrangères. cette monstre, sûrement scandaleusement onéreuse, était sa manière de le remercier sans avoir à prononcer le moindre mot - et de se défaire d’un objet très laid. zut. chowon se trouva bête avec l’écrin à nouveau en main. elle ne put s’empêcher de froncer les sourcils lorsque haneul évoqua une femme mariée mais fut presque déçue qu’il fasse allusion à sa mère. la jeune femme aurait presque pu se réjouir de son manque de moralité, tout comme elle et sa clientèle… “surtout pas mes sœurs. elles poseraient trop de questions.” dubitative, elle regarda la boîte entre ses mains avant de la ranger. ce ne serait pas ce soir qu’elle trouverait quoi faire de la montre. “et ta mère ? tu pourrais lui offrir pour son anniversaire.” elle battit cils avec toute l’innocence du monde. oui, elle était prête à tout pour la lui refourguer. “c’est une montre suisse tu sais.” chowon ne connaissait pas grand chose en horlogerie mais elle était sûre d’une chose : les suisses étaient les meilleurs dans le domaine. en tout cas ce que lui avaient affirmé plusieurs clients pour l’impressionner. le changement de ton du jeune homme la prit de court,  assez pour qu’elle papillonne des cils.

et elle trouva quelque chose de réconfortant dans la façon qu’il avait eu de murmurer son prénom. “c’est un autre monde.” sa voix devint plus grave, plus lointaine. “les hommes font de fausses promesses et les filles font semblant d’y croire. c’est que de la poudre aux yeux. c’est aussi l’endroit le plus misogyne de l’île et pourtant celui où l'on prend le plus soin des employées. par contre si tu veux savoir comment ça se passe avec un client je te dirais rien.” secret professionnel pour cacher la honte de laisser ces hommes jouer à la poupée avec son propre corps.

⸻ le visage de l'aîné s'inclinait, pendant que son interlocutrice insistait sur l'idée de lui offrir ce précieux bijou, prétendant que cela ferait un excellent cadeau pour une figure maternelle (mensonges). ❝ je me demande vraiment qui posera le plus de questions : tes sœurs ou ma mère ? face au questionnement révélé, il s'imaginait dans une telle situation. sa mère n'oserait jamais porter un tel bijou au quotidien. l'écrin serait sans doute caché dans un placard, protégé des regards indiscrets sous deux épaisses couvertures d'hiver. ❝ vends là. il révélait ainsi la meilleure option pour laquelle ils seraient tous deux d'accord. il l'aiderait si nécessaire. peut-être fallait-il naviguer au-delà de l'île pour trouver un scélérat qui se sustentait des biens précieux d'autrui.

❝ un autre monde. il murmurait alors les paroles prononcées par la jeune femme, semblables à un quotidien qu'il discernait au fil des jours. ces promesses faites à autrui, qu'il savait ne pas tenir. et pourtant, les deux parties se nourrissaient de tels mensonges. l'espoir. ❝ je n'oserais pas. les bras levés vers le ciel, il se rendait sans difficulté. il ne désirait pas en savoir plus sur ces traitements qualifiés de secrets ou plus couramment appelés : de faveur. ❝ j'ai une nouvelle question. il est autorisé de refuser de me répondre, de m'ignorer. les règles étaient ainsi posées. ❝ c'était quoi, ton rêve ? ce rêve d'enfant, ces mots évoqués pour une future profession telle qu'astronaute, chanteur, et tant d'autres encore. ❝ je crois que de mon côté, j'ai toujours eu ce souhait de vouloir rendre justice et de traquer les grands méchants. aujourd'hui, je me demande si c'était un choix judicieux. aujourd'hui, il doute. il redoute. et c'est seulement quand de telles paroles effleuraient ses lèvres qu'il réalisait que le chemin se raccourcissait.

⸻ tout cela semblait si étrange et normal à la fois. une enclave de vérité au milieu des mensonges de chowon. parce qu’haneul savait pour le port autant qu’il savait pour les trois soirs par semaine où elle s’inventait une autre vie. un ange de vérité que le hasard et des drames avaient placés sur son chemin. quoi qu’il semblait souvent oublier que, d’eux deux, chowon était celle qui avait le plus à perdre si la raison de leurs entrevues devenaient publiques. “je sais pas mais t’aurais pas à mentir à ta mère si tu lui disais que c’est un particulier dont tu prends soin qui t’en as fait cadeau. alors que mes sœurs ne me croiront jamais si je leur dit que j’ai nettoyé un poisson qui a avalé une montré à plusieurs milliards de won.” de toute façon s’était peine perdue. elle allait se retrouver avec ce cadeau empoisonné sur les bras et il lui faudrait rejoindre le continent si elle voulait s’en défaire.

quoi qu’il fasse, haneul ne dépassait jamais les borgnes. à croire qu’il pouvait parfaitement voir  les limites compliquées que chowon s’était imposées. jusqu’à parler de l’interdit. remuer l’horrible pour lui rappeler une vilaine vérité : elle ne serait jamais la femme qu’elle avait imaginé. son corps se tendit sous l’effet des souvenirs d’une adolescence qu’elle avait l’impression d’avoir vécue il y a plus d’une décennie de cela. “ce sont les disparitions qui te font douter ? tu ne devrais pas abandonner pour de mauvais résultats.” et elle savait de quoi elle parlait, chowon qui avait renoncé à sa vie pour celles des autres. “ma seule ambition ado c’était de partir loin d’ici et de ne plus jamais parler à ma famille et aujourd’hui je joue à la poupée trois soir par semaine pour que cette même famille mange à sa faim. alors continues de courir après les criminels même si parfois c’est difficile.”

⸻ à première vue, la jeune femme qu'il accompagnait semblait facilement correspondre aux catégories établies par la société. cependant, au gré des questions qu'il posait, elle prenait plaisir à déconstruire ces stéréotypes, un à un. elle était différente de ce que l'on pourrait imaginer, avec ses hauts et ses bas. ce quotidien terne et ces nuits agitées. ainsi, il se contentait de ricaner face à l'argument qu'elle exposait. ❝ à t'entendre, je te donnerais raison. avoir raison ne signifiait pas l'idée de vouloir s'approprier l'objet, qui, de son point de vue modeste : était de goût douteux, excessif et manquait d'élégance. ❝ sous ton matelas. ll s'agissait d'une proposition qui concluait ce désir exprimé par la jeune femme, en rapport avec l'idée de s'en séparer.

❝ certes. il approuvait les dires de son interlocutrice. sa vie lui paraissait plus paisible en comparaison. Il avait de nombreuses missions, mais il n'avait aucune raison de se plaindre sur le plan financier ou personnel. ❝ faim. tu as mangé, ce soir ? les filles auront mangées ? c'est ainsi qu'il a su rebondir sur la situation. d'un coup d'œil auprès de sa montre et le cadrant indiquait que, aussitôt aurait-il raccompagné la demoiselle en son antre, aussitôt était-il libéré de ses fonctions. ❝ jajangmyeon. ce n'est pas une mauvaise option ? je ne dirais pas non à cette option, personnellement. c'était le plat à commander, par excellence, dans une culture coréenne. lui, piètre cuisinier, s'en contentait à de nombreuses reprises. ❝ on est bientôt arrivés, c'est l'occasion de leur faire plaisir. je me trompe ? peut-être était-ce l'occasion d'évincer la solitude. pour lui, comme pour elle(s).