✧  Ridicule.
C’était ridicule. – se disait Dakho en tirant sur la cigarette qu’il avait calé entre ton pouce et son index, ses sourcils se fonçant sur ses yeux plissés qui regardait vers une fenêtre sur un bâtiment. Il n’avait en réalité aucune idée si cette fenêtre était celle de la personne qui l’avait mise dans cette situation, mais cela importait peu, c’était en quelque sorte symbolique à ses yeux.
Tirant une dernière latte sur la cigarette, il la jeta à terre avant de l’écraser sous la semelle de ses basquets – que le filtre déchiqueté finisse un jour dans l’océan ingéré par un poisson qu’il finirait lui-même par manger cela le dépassait complétement – tout autant d’ailleurs que les raisons qui l’avaient poussé à accepter de venir ici pour …manger ?
Poussant un soupire en secouant la tête de droite à gauche, finissant par l’enfoncé entre ses épaules, tendues tandis qu’il mettait les mains dans les poches de son jean délavé, le Yeo finit par avancer de quelques pas et se diriger vers la porte de l’appartement dont il avait retenu le numéro.
Loin d’être la personne la plus sociable de l’île il n’était pourtant pas totalement un ermite non plus. La question qui le tracassait plutôt en cet instant était la raison qui avait poussé l’un des membres de sa famille à le faire venir. Bien qu’il soit adulte et supposément un membre à part entière des Song, bien qu’il travail dans l’une de leurs filières sur le port, bien qu’il sache qui il était, son existence entière semblaient parfois remise en question lorsqu’il se retrouvait dans la même pièce que les membres « légitimes » de cette famille. L’influence des Song sur l’île allait loin, et Dakho avait toujours nourrit une certaine fierté de cela. Après tout, c’était aussi le nom de famille de l’homme qui l’avait élevé, qui lui avait tout apprit, jusqu’au métier qu’il exerçait aujourd’hui ; mais c’était aussi le nom de la femme qui lui avait donné la vie, rompant toutes les normes sociales qu’avait établit l’éducation qu’elle avait reçu.
Quelque part, il le savait, Dakho savait qu’il portait la honte de sa mère étiquetée sur son front.
Du moins, c’est ce qu’il ressentait. Il n’était pourtant qu’un fils, un parmi toute ces générations, et il n’hériterait de rien, non pas car il aimerait avoir sa part du gâteau – c’était loin d’être le cas – mais bien parce qu’il n’était rien et qu’il en avait bien conscience.
Inspirant par les narines une dernière fois, Dakho appuya sur la sonnette, prévenant de sa présence. Attendant d’entendre la présence de la personne qui l’avait conduit ici, en quelques messages, en une invitation, et pour quelle raison ? Il n’en savait toujours rien.

OUTFIT.     ✧  L’aisance d’une mélodie qu’il humait, remplissant cet appartement sans grande personnalité mais d’harmonie joviale qui étira les lippes de l’héritier. La psyché d’une réalité s’était effacée sous la tutelle de la paix ; oubliant les étranges regards d’une famille aux traditions fortes. Les moutons noirs ne pouvaient que bien se tenir et pourtant, sous cette couronne imagée se trouvaient des changements drastiques en dichotomie avec ce passé greffé à cette famille. Difficile d’en échapper, prisonnier de ces mœurs, le damné siégeait sur les enfers la tête faussement haute selon les images qu’on lui soufflait au creux de l’oreille, imposées par l’ignorance. Il n’avait aucune raison d’avancer sur cette voie de préjugés, dictés par l’imagination corrompue alors qu’il était lui-même victime de cette même destinée. Voué à se présenter dans la différence des habitudes sociétales.

Insolent enfant qui n’écoutait pas les anciennes générations ─ seule protectrice comme grand-mère ; l’exception. Il s’était glissé hors des mailles du filet et en avait invité un cousin pour qui le regard semblait toujours attristé d’être témoin de cette injustice sans jamais pouvoir y remédier. Leur différence redevenait une étrange familiarité entre les deux créatures. Dans les bras d’une solitude certaine, un pied dans ces ténèbres qui n’attendaient qu’à les dévorer à la moindre faiblesse. Aucune animosité n'était au rendez-vous, seulement une bienveillance retirée de ces contes merveilleux très chers à l’héritier. Insouciant innocent qui osait encore croire que le monde pouvait être bon et le méritait ─ il n’était qu’un enfant qui ne semblait pas encore avoir ouvert les yeux sur les cruelles réalités. Pourtant, il en vivait une par lui-même. Piégé dans cette voie tout tracée, le soldat avait déjà perdu cette guerre avant même de la commencer.

Surpris par le bruit singulier de la sonnette, son visage se releva vers cette porte fermée comme s’il pouvait y apercevoir la silhouette de l’autre côté. Ses pulpeuses s’étirèrent de nouveau dans un timide sourire alors qu’il lâcha sa spatule, retira son tablier et alla ouvrir à son invité. « Dakho ! tu as pu trouver facilement ? » Oubli de la bienséance, il l’enferma rapidement dans une étreinte sincère. « je suis content de te voir ici… on a jamais… mangé ? pris du temps à deux. » Les pommettes prirent leur habituelle teinte rosée, l’enfant peu habitué à être si à l’aise en présence de son cousin, malgré l’envie de s’en rapprocher. « entre, fais comme chez toi surtout. tu es le bienvenu ici. » Insistant sur ces dernières paroles, la gêne présente dans le ton quand il était évident que le malaise était palpable.

✧  Comme une envie de se taper la tête contre le mur.
Lorsque Wonho ouvre la porte, dans toute la perfection qu’il est. Il y a peut-être quelque chose comme un trait de famille dans la manière dont leurs lèvres se retroussent à la commissure. Mais Dakho le sait, Wonho est plus beau, plus élégant dans sa manière d’être à côté du rustre que le Yeo se sait être.
Le rouge qui couvre le visage du Song fait écho à celui qu’il se sent fleurir sur ses pommettes. Le charpentier s’en sent presque bouleversé. Cette coloration d’émotion qu’on utilise comme moquerie contre lui bien souvent sur le port, à croire qu’il n’est pas le seul à le brandir.
Le jeune homme cligne des yeux, chassant ses pensées encombrante, l’odeur de la clope collant à son passage lorsqu’il pénètre dans l’entrée de son cousin.
Enlevant une chaussure, puis l’autre, il cherche quelque chose à dire, mais ses lèvres sont comme scellées l’une sur l’autre par un sortilège. Certainement fallait-il remettre tout cela sur le dos de quelque esprit marin venu se jouer d’eux.
« Non je ne suis jamais venu ici… » les mots s’étaient perdus, éparpillées entre deux réponses, entre celle qu’il aurait voulu donner pour confirmer qu’ils n’avaient jamais mangé ensemble auparavant, et pour le remercier de l’invitation. Du moins si remercier était ce qu’il fallait faire.
Se rendant compte de l’idiotie de sa réponse qui n’en était pas une et dans un geste presque défiant Dakho se redressa sur lui-même, nez mutin froncé et dents serrées sous ses sourcils arquant un regard inquisiteur, de ceux que portent les gens qui craignent leurs ombres.
« C’était pas ça ta question hein ? » l’informalité innée de ses paroles se perdit dans le malaise de la situation.
« Ah oui ! L’appartement … oui j’ai trouvé tout de suite, j’ai suivi à la lettre ce que tu m’avais écrit. » par reflexe il sortie son téléphone de sa poche et le brandit sous le nez de Wonho, comme preuve qu’il avait bien du utiliser l’objet comme guide, ou comme preuve qu’il possédait bien un téléphone et qu’il n’était pas totalement l’idiot du village qui vivait dans sa grotte comme certains membres de sa famille devaient le croire … du moins, bien que le Yeo accepta bien volontiers d’être l’idiot utile de cette famille.

OUTFIT.     ✧  Maître des lieux, ce malaise palpable imposait sa dominante sur les deux créatures. Des cousins qui ne se connaissaient pas, vus de loin ou plus proche ; les mots étaient difficiles à trouver dans cette famille d’inconnus et la teinte rougeâtre sur les pommettes de l’héritier trahissait sa timidité. Pourtant la tristesse face à cette réalité prenait le dessus, rappelant à Wonho la raison première d’avoir invité son cousin. Son essence se décala pour laisser la place au plus jeune d’entrer. Le contrôle du faciès lorsque que les effluves de tabac froid lui chatouillèrent les narines prouvait ces années d’expérience au sein d’une famille qui avait un penchant pour les batailles ─ internes aussi. Quand l’héritier n’y avait toujours porté que peu d’intérêt, privilégiant la sérénité dans la sécurité de son appartement, ou auprès de ses amis proches.

Les premiers mots échangés n’effaçaient en rien le malaise de cette nouveauté. Ils n’étaient que le reflet de cette distance malgré ce même sang partagé. Une tristesse évidente qui chamboulait la psyché du chérubin qui s’était porté volontaire dans sa solitude pour tendre cette main malgré ce début difficile. Il offrit un doux sourire, observant l’appareil sorti de la poche, peu certain de cette nécessité. « Tant mieux si ça a pu t’aider, ce n’est pas très compliqué, mais j’ai déjà eu des amis qui se sont perdus en venant ici. » Aucune moquerie ne ressortait de ses mots quand seule une simple mélodie de ce rire léger secoua sa poitrine. « installe-toi sur le canapé, j’espère que tu as─ faim… enfin oui t’es là pour ça… et─ et je ne savais pas ce que tu préférais alors j’ai fait… bref tu verras. » L’impossibilité de dérouler une phrase claire sous ce cruel manque de familiarité, l’aîné s’échappa vers la cuisine ouverte, tournant le dos au plus jeune. Une échappée peu surprenante, le temps de les laisser respirer et retrouver leurs repères. Petit à petit, il rapportait de nombreux plats sur la table basse du salon, sans jamais s’arrêter bien qu’il avait encore les mots de son frère de cœur en tête ; qu’il en faisait toujours trop. La nature de son essence se portait néanmoins sur le partage et il ne pouvait contrôler ses instincts de guider ses envies.

Délicatement, il s’assit aux côtés de son cadet, le visage déformé par le malaise alors que la psyché cherchait désespérément un sujet pour combler ce silence pressant sur ses épaules. « uhm… tu vas bien ? depuis le temps… » L’idiot qui laissait son introversion le contrôler, échappant de peu aux moqueries de ses pensées. Il soupira. « je suis pas vraiment doué pour… faire la conversation c’est nul… » Il rigola légèrement comme pour apaiser l’angoisse dévorante de ses entrailles. « vas-y mange, profite que ce soit chaud. » Souffla-t-il avec tendresse.