Ta mère s’est tirée quand t’avais cinq ans, après des années de dépression aigue face à son échec de mariage arrangé (les mecs, ça n’a jamais été sa tasse de thé) et son incapacité à développer le moindre attachement envers la « monstruosité » qui lui servait de progéniture (toi, ça). Elle préférait te claquer que répéter, de toute manière. Tu ne peux pas dire que ça t’a spécialement ému, t’es juste choqué que cette bécasse prenne la fuite avec une autre femme, un truc immoral et honteux. Toi, tu dis qu’elle est morte du cancer, c’est plus socialement acceptable que d’être associé à une succube sans morale ni professionnalisme. La moindre des choses, quand on expulse un être vivant, c’est bien de pourvoir à ses besoins jusqu’à la majorité, non?

Ton père est un abruti, mais sans doute le seul insecte que tu te fais un point d’honneur d’appeler, même si c’est rarement pour lui parler gentiment. En dépit de sa propension incohérente pour le drame et les larmes (un putain de romantique incurable que ce nigaud) il a su te trouver l’aide nécessaire quand t’étais encore assez jeune pour t’adapter. C’est sous son œil vigilent que t’as commencé la thérapie, des exercices pour te fondre à la masse … s’il avait su, peut-être qu’il ne t’aurait jamais enseigné à feindre l’émotion, vu à quel point t’avais un talent inné pour la chose, et un intérêt marqué, quand t’as capté le gain disponible.

Si t’avais un truc pour toi hormis ta belle gueule, c’était ta matière grise. T’as toujours excellé à l’école, motivé par des cadeaux de plus en plus exorbitants que tu soutirais à ton paternel sans une once de remords. T’aurais pu faire médecine, mais l’idée de devoir interagir avec des microbes te déplaisait grandement, et tu te connaissais assez pour savoir que tu étais trop fainéant pour vraiment bosser, alors t’as choisi pharmacien, c’est plus calme. T’aurais probablement pu te contenter d’un job répétitif dans un laboratoire, si tu n’avais jamais rencontré Hana.

T’es mortellement allergique aux fraises, sauf qu’une partie de toi trouve la sensation de suffoquer presque agréable, grisante, le plus près que t’ai ressenti d’une émotion. Alors ponctuellement, tu t’en envois un casseaux juste pour sentir ta carcasse s’alarmer avant de sortir ton epipen et de visiter les urgences. C’est toujours charmant, pour les mardis plus morts à la pharmacie…

Officiellement t’es un prince charmant, un mec prévenant, le petit pharmacien sympathique qui écoute les histoires de tous ses clients débiles et les réconforte… Intérieurement, t’es mort. Si peu de chose te font sortir de tes gonds (t’aimes beaucoup trop qu’on chante tes louanges) tu méprises tout et chacun des crétins qui entrent dans ta boutique et te chipent du temps. C’est toujours un petit plaisir pourtant, de comprendre que leur vie est minable comparativement à la tienne.

T’es émotionnellement inapte à connecter avec qui que ce soit, mais la solitude, elle est bien là, à te gangréner les tripes. Alors t’es plutôt proactif sur les coups d’un soir et les histoires sans lendemain, n’importe quelle fille moyennement mignonne le fait, tant qu’elle ne demande pas à ce que tu mémorises son prénom. T’as déjà eu des relations, le truc, c’est que tu as tendances à zapper la partie exclusive et ça t’emmerde de gérer les larmes quand elles le découvrent. C’est plus simple de ne jamais retourner un appel.